UN FOCUS SUR L’ITALIE
La soie a toujours été présente dans l’histoire de l’humanité et l’importance économique du ver à soie au cours des millénaires est bien connue. Des milliers d’années avant Jésus-Christ, la soie était déjà utilisée en Chine comme matériau d’écriture. Bien que la transformation de la soie soit délicate, le tissu est indestructible au point d’être utilisé pour fabriquer des gilets pare-balles et des parachutes.

La sériciculture, technique de production de la soie, comprend l’élevage du ver à soie, du stade de l’œuf à l’achèvement du cocon, le traitement du cocon pour créer le fil et permettre le tissage. C’est une technique qui fait appel à la culture des mûriers dont se nourrissent les vers à soie. Lorsque le ver à soie « monte au bois », il tisse son cocon comme un terrier qui l’enveloppe, après quoi il se transforme en chrysalide « comme un pharaon dans son sarcophage ». Il reste à l’état de chrysalide pendant 12 à 13 jours, puis se transforme en papillon qui pond des œufs. Les vers à soie sont précieux car ils produisent un extrait baveux très fin qui est extrait de leur cocon une fois qu’il a été placé dans de l’eau chaude après avoir été séché. Le retordage consiste à réunir les fils de plusieurs cocons pour créer un fil de soie unique.

I. De l’empereur Justinien aux nations européennes
Les Romains avaient une énorme consommation de soie brute. La sériciculture s’est répandue dans toute l’Europe à partir du VIe siècle, suite à l’importation de vers à soie par l’empereur Justinien en 553. L’importation de l’empereur a permis le développement d’un type de soie précieux car il provenait de races de vers à soie annuelles « monofilament ». Une fois pondus par le papillon, les œufs de ces races devaient être conservés pendant plusieurs mois avant d’éclore. En Inde et en Orient, d’autres types de vers à soie, plus sauvages, étaient utilisés. Une fois le fil de soie extrait du cocon de cette race, il pouvait être rendu si long que le tissage s’en trouvait facilité. La sériciculture se répandit de plus en plus, le tissage et la transformation du fil se développèrent et atteignirent des niveaux de production élevés. Au XIIe siècle, la sériciculture et la production de soie atteignent la Sicile et la Calabre et se répandent dans toute l’Europe.

Au milieu du 19e siècle, elle a atteint un développement tout à fait remarquable. La moitié de la quantité mondiale de soie grège est fournie par l’Asie, l’autre moitié par l’Europe. En ce qui concerne la transformation de la soie grège, la France détenait sans conteste la suprématie, au point que Lyon devint la capitale mondiale des tissus de soie, employant plus de cinquante mille ouvriers. La péninsule italienne est considérée comme le deuxième producteur mondial de fils de soie après la Chine ; le Royaume Lombardo-Veneto et le Royaume de Sardaigne font de la soie leur principal produit d’exportation.

II. La crise du ver à soie de 1850
Au milieu du XIXe siècle, alors que l’industrie de la soie avait pris une importance économique considérable, une crise affecta gravement l’ensemble du secteur textile et détruisit l’élevage des vers à soie dans toute l’Europe. Une épidémie, la pébrine, frappe les vers à soie et bouleverse l’ensemble de l’économie des pays producteurs de cocons, en particulier les États de la péninsule italienne, le Midi français et les régions méridionales de l’empire autrichien. La chute drastique de la production de cocons a mis à genoux toutes les étapes de l’industrie de la soie. Cette crise a entraîné une augmentation remarquable du commerce de la Compagnie anglaise des Indes orientales, qui s’est étendue jusqu’à la Chine pour approvisionner l’Europe en soie brute (grègeà. Avec la pébrine, la production de cocons est réduite à un dixième de ce qu’elle était.

La Compagnie britannique des Indes orientales a énormément profité de l’expansion de l’épidémie de pébrine en Europe. Grâce à ses possessions coloniales asiatiques, elle pouvait garantir l’approvisionnement de l’Europe en soie brute. Il faudra 20 ans pour surmonter la crise de la pébrine.

III. Différentes destinations pour la soie
a. LES ÉTABLISSMENTS BACOLOGIQUES: La soie comme base monétaire de l’État italien
Les races génétiques de vers à soie importées par l’empereur Justinien en Europe avaient atteint un tel niveau de perfection (contrairement à celles du Japon ou de l’Inde) qu’elles créaient un type de soie brute qui était cotée en bourse tous les jours et constituait la base monétaire de l’État.

Pour cette raison, et afin de ne pas dépendre de l’importation de semences de vers d’Asie, il est devenu urgent de résoudre le problème de la pébrine. Les gouvernements européens ont poussé le monde scientifique à trouver une solution. La méthode française « Pasteur » d’analyse microscopique des papillons d’élevage est adoptée, ce qui nécessite la création d’une véritable industrie avec des usines bacologiques dans lesquelles seront sélectionnés des œufs de papillons certifiés sains. La soie brute commence alors à être produite par des usines bacologiques où arrivent des vers destinés à l’élevage et non à la fabrication de soie pour le tissage. Dans ces usines bacologiques, toute l’évolution du ver à soie était surveillée afin de pouvoir capturer le moment où le ver à soie se transformait de larve en chrysalide et de suivre le compte à rebours de 10 à 12 jours au cours duquel les œufs étaient pondus.

Pour des raisons politiques, seule une petite partie de cette soie brute produite en Italie a été attribuée aux industries italiennes et aux filateurs de Côme. Le reste n’était pas utilisé en Italie mais vendu aux États-Unis et en Europe du Nord. Cela permet à l’Italie d’effectuer des transactions avec d’autres États qui complètent la base monétaire de l’État italien. La soie grège est restée le premier produit d’exportation de l’Italie pendant une centaine d’années (de la Restauration à la Première Guerre mondiale).

LA FILATURE: La soie, base d’un artisanat textile d’excellence qui perdure encore aujourd’hui
Côme est devenue la ville par excellence du traitement de la soie à partir du XVIe siècle. On y tordait la soie, on la filait, on la teignait. Ainsi, dans une usine de tissage typique, on pouvait trouver des outils utiles aux différentes étapes de la production de vêtements en soie : installations de retordage, métiers à main, ourdissoirs. Pour la finition, la soie était envoyée dans des ateliers dédiés à la production de vêtements finis : laboratoires chimiques, teintureries, imprimeries, où l’on imprimait également l’effet « moiré » sur la soie.

Au XXe siècle, le commerce de la soie brute a commencé à décliner progressivement avec l’introduction de la rayonne comme alternative artificielle et moins chère à la soie. La vente de la soie grège n’était plus suffisante pour assurer la survie de l’industrie. En outre, au fil du temps, le nombre d’entreprises fournissant de la soie grège a continué à diminuer, car la demande du marché s’est tournée vers les étapes de la conception des tissus, à savoir la teinture et l’impression.

IV. La conservation du patrimoine de la soie
La concurrence des soies asiatiques et la transformation de la réalité agricole italienne ont entraîné une diminution progressive de la demande de graines de vers à soie, jusqu’à la fermeture des usines de soie à la fin des années 1990. Aujourd’hui, la soie est produite là où le mûrier pousse selon un cycle continu (zones tropicales de l’Inde, de la Chine, d’autres pays asiatiques ou du Brésil), ce qui permet de réaliser davantage de récoltes annuelles et, par conséquent, de maximiser le rendement des investissements agricoles et industriels.

Malgré le progrès et le déclin de la main-d’œuvre qualifiée, la préservation du patrimoine de la soie persiste aujourd’hui grâce à diverses entreprises artisanales réparties sur l’ensemble du territoire italien. Les petites entreprises de Côme peuvent se targuer d’être les leaders mondiaux du secteur de la soie dans la production de cravates et de foulards. Dans toutes ces entreprises, la moitié des employés travaillent au tissage du fil de soie, une autre moitié au finissage des tissus et le reste à la fabrication des articles.
La Station expérimentale pour la soie, un organisme économique public situé à Côme et dédié à l’étude appliquée pour le compte des entreprises, a été créée en 1923. En 1995, la Fondazione del Setificio a été créée pour promouvoir la formation des jeunes aux métiers de la soie. Enfin, des initiatives comme SILKNOW.EU , MINGEI PROJECT permettent à l’industrie de la soie de perdurer et de ne pas oublier ce patrimoine économique et culturel séculaire au niveau européen.

Sources
MARSON Ettore, Una pagina inedita della ricerca. Il seme bachi sano e l’industria bacologica, 2011
COLOMBO Paolo, La Grande Europa dei Mestieri d’Arte, 2007
https://www.museivittorioveneto.it/museo_del_baco_da_seta/museo/centro.html
https://www.museosetacomo.com/museo.php?lang_id=1
Remerciements
Nous remercions tout particulièrement Ettore et Pia Marson qui ont accueilli Alessandra Ribera d’Alcalà (Mad’in Europe) pour une visite de l’Institut Bacologique Marson à Vittorio Veneto et un entretien approfondi.
