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Haute joaillerie : la laque fait son come back

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Publication date

13/05/2016

La laque, longtemps cantonnée au champ de la décoration, trouve aujourd’hui sa place dans les collections de haute joaillerie et de haute horlogerie des maisons les plus prestigieuses. Enquête sur la percée d’une matière séculaire terriblement innovante.

Noir profond ou teintes translucides, couleurs pop et fluo, poussière d’or et d’argent ou blanc incrusté de coquilles d’oeuf, de nacre ou d’or solide… Depuis quelques années, la laque revisite le monde de la haute joaillerie. Rares sont aujourd’hui les maisons qui ne mêlent pas cette matière lisse et brillante à l’or et aux pierres précieuses de leurs collections d’exception. Dior a fait figure de précurseur avec les créations de Victoire de Castellane mais il y a aussi Chopard, Chanel, Van Cleef & Arpels, Vacheron Constantin, Cartier ou encore Chaumet… Pour toutes, la laque est désormais intimement liée à la création. « On a toujours utilisé la laque dans les bijoux » assure la Catalane Olga Aloy, artiste laqueur et créatrice de bijoux depuis 35 ans à Barcelone. « Mais depuis une dizaine d’années, ça bouge, il y a un vrai renouveau». On l’utilise non seulement dans les accessoires haut de gamme mais aussi pour les bijoux d’exception. Comme si elle était devenue une matière précieuse à part entière…

Pop et vibrant

«La laque fait partie d’une recherche de nouveauté, elle permet de donner vie à des bijoux créatifs» explique Benjamin Comar, directeur international chez Chanel joaillerie, pour qui la haute joaillerie est en train de se diversifier avec l’apparition de nouvelles techniques et d’une nouvelle palette de couleurs, chère à la célèbre maison aux camélias. Sensualité, douceur, brillance, profondeur… Les artisans laqueurs sont intarissables lorsqu’il s’agit d’évoquer les qualités de cette matière qu’ils disent vivante, tactile, chaleureuse et comparable à de la soie. «La laque fait partie du langage de la joaillerie» estime Solange Azagury-Partridge, créatrice de bijoux à Londres. «Totalement intégrée à la pièce, elle valorise les autres matériaux qui composent le bijou ». Pour l’ancienne directrice de la création de Boucheron, «la laque est quelque chose de moderne, pop et vibrant. C’est comme appliquer de la couleur à un dessin. Avant, on utilisait surtout du noir et blanc, maintenant, toutes les couleurs sont demandées, jusqu’au fluo». Sa bague Hotlips, qui recrée à la perfection l’aspect de lèvres d’un rouge pulpeux, n’en est-elle pas un parfait exemple? En plus d’ouvrir une nouvelle palette de couleurs grâce à la diversité de teintes des pigments naturels, «la laque peut changer les qualités de surface d’une pièce, remplir les espaces et les élargir, les développer». Cette matière a quelque chose d’unique qui permet au designer de se démarquer et d’innover, ce qui est plus difficile avec les pierres précieuses qui, si somptueuses soient-elles, gardent toujours le même aspect. Autre qualité appréciée par les joailliers, sa solidité. Appliquée en plusieurs couches successives, dont chacune est soigneusement poncée avant d’accueillir la suivante, la laque a la caractéristique de devenir très dure en séchant dans un lieu humide: « La laque est fantastique, car elle permet d’obtenir beaucoup des effets de l’émail sans sa vulnérabilité. Elle est à la fois durable et transformable. »


Collaborations avec les grandes maisons

La laque végétale « est utilisée par certains très hauts joailliers sur des toutes petites pièces, mais c’est très rare, car cela demande un véritable savoir-faire» affirme la laqueuse Anne Midavaine. Six artisans d’art seulement pratiquent cette technique en Europe, notamment en Allemagne et en Espagne «Pour une pièce, il faut au minimum six mois de séchage dans une cave aux conditions d’humidité et de chaleur spécifiques ». La laque n’est qu’une question de temps, c’est ce qui la rend si précieuse. Aujourd’hui, les pièces laquées de haute joaillerie sont souvent réalisées en résine polyuréthane, dont le temps de séchage est moins important. « Les bijoux, prototypés par des artisans d’art occidentaux, sont ensuite réalisés en Asie, par exemple au Vietnam », explique le Maître d’art Isabelle Emmerique, qui a collaboré à une collection de bijoux laqués pour Hermès. Comme elle, ce sont souvent les laqueurs d’art, d’abord spécialisés dans le laquage de surfaces ou d’objets, qui se font ponctuellement laqueurs pour les parures d’exception. Car il n’existe pas de métier dédié.

Nouveau souffle Art déco

Si la laque connaît aujourd’hui un véritable regain d’intérêt pour les hauts joailliers et les hauts horlogers après avoir été «oubliée» pendant un demi siècle, cela peut en partie s’expliquer par le renouveau du style Art

 déco. «On est en train de redécouvrir de grandes figures de cette période faste pour la laque» observe la créatrice Olga Aloy. «Jean Dunand, qui travaillait la laque naturelle urushi, a fait des bijoux pour Joséphine Baker, a participé à la décoration du paquebot le Normandie et, à sa mort en 1942, a comme emporté avec lui tous les secrets de la laque…» Ou Eileen Gray (1878-1976), célèbre architecte irlandaise et spécialiste de la laque à laquelle le Centre Georges Pompidou vient de consacrer une exposition. Même constat chez la laqueuse Nathalie Rolland-Huckel, dont l’atelier se situe près de Strasbourg et qui collabore à la fois avec les arts de la table (Hermès, Wedgwood) et depuis peu avec des hauts joailliers qu’elle ne peut pas citer, contrat de confidentialité oblige. «Il y a une vraie tendance au retour des décors très élaborés, à la recherche d’ornements très travaillés, et à la création de pièces uniques faites à la main par des artisans d’art» estime la spécialiste.

Des Japonais pour les horlogers

Faire cohabiter les artisanats d’art, voilà une autre facette de la laque qui, actuellement, trouve son expression la plus poussée dans la haute horlogerie. Les plus grandes maisons associent leur savoir-faire à celui de maîtres d’art de laque japonaise pour proposer à leur clientèle des pièces d’exception en séries très limitées : les «Cadrans Extraordinaires» chez Van Cleef & Arpels, la LUC XP Urushi Snake chez Chopard qui célèbre l’année du serpent du calendrier chinois ou la collection « Métiers d’Art – La Symbolique des laques » chez Vacheron Constantin, déclinée sur trois ans, chaque année donnant naissance à un coffret de trois montres en 20 exemplaires… Des cadrans somptueux aux motifs animal, végétal et minéral, réalisés au maki-e («image semée»), technique ancestrale la plus sophistiquée de la laque végétale qui consiste à faire tomber une pluie tamisée de poudre d’or ou d’argent sur une couche de laque très fine. « Ces montres sont évidemment recherchées par des collectionneurs, mais aussi par des amateurs de haute horlogerie à la recherche d’un garde-temps à la fois exclusif et particulièrement original » assure Christian Selmoni, directeur artistique de Vacheron Constantin qui a collaboré pour cette collection avec la maison japonaise de laque Zôhiko, fondée en 1661 et située à Kyoto. « On trouve dans cet art le raffinement et la bienfacture que l’on retrouve également dans nos montres qui sont émaillées grand feu : ce sont des techniques différentes mais qui, lorsqu’elles sont parfaitement maîtrisées, permettent de créer de véritables chefs-d’oeuvre en miniature. »

Préoccupation environnementale

Plus qu’un effet de mode, la laque semble s’enraciner durablement dans le secteur de la haute joaillerie et la haute horlogerie. D’abord parce que son origine végétale incarne une forte valeur écologique, chère aux maisons prestigieuses, mais aussi parce que les vernis synthétiques sont en train de relever des enjeux environnementaux importants: «Les nouvelles normes sur les résidus des laques synthétiques étant très rigoureuses, on s’achemine désormais vers l’utilisation de laques hydrauliques, des produits aqueux et sans solvants, actuellement en test dans les grandes maisons» explique Martine Rey, artisan laqueur qui a collaboré il y a plusieurs années avec la haute joaillerie et restaure régulièrement des bijoux d’exception. Créative, durable et sur le point de devenir pleinement «écolofriendly », la laque est une valeur sûre qui n’a pas fini de faire parler d’elle dans les écrins de velours.



Alexandra Ronssin pour le Magazine Métiers d’Art no 259

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