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Catherine BERNET – Lissier- Tapisserie d’Aubusson

Category

Interviews

Publication date

30/10/2017

Imaginez que nous ne connaissons rien à ce sujet … pouvez-vous décrire votre profession?

Tissage de tapisserie d’art selon le savoir-faire multiséculaire de la Tapisserie d’Aubusson inscrit depuis 2009 au Patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO (tissage de basse lisse).

La tâche du lissier est de « mettre en laine » l’œuvre de l’artiste. Cet artisan d’art allie compétences techniques (les gestes artisanaux du tissage de basse lisse) et artistiques (recherche de la meilleure combinaison entre points de tissage, fibres et couleurs pour proposer une interprétation textile pertinente). Le lisser est l’artisan tapissier qui exécute le tissage sur un métier à tisser de basse lisse (à Aubusson) même si d’autres activités connexes lui sont également dévolues. C’est un métier hautement diversifié où le lissier se fait tour à tour cartonnier, coloriste, monteur de chaîne et enfin couturier dans le délicat travail de finition. Mais son nom provient du terme « lisse », qui désigne une cordelette fixée sur un fil de chaîne pour le relier à une « marche » actionnée avec le pied pour dissocier les fils pairs et impairs de la chaîne. Dans cet espace ainsi créé entre les fils pairs et les fils impairs, il est alors possible au lissier de glisser sa flûte chargée de trame pour venir recouvrir totalement la chaîne de matière.

Sur métier de basse lisse, horizontal, le lissier tisse le plus souvent sur l’envers de la future tapisserie. Il ne peut vérifier son travail que partiellement (la tapisserie étant enroulée au fur et à mesure de la progression) en plaçant un miroir entre les fils de chaîne du métier et le carton qui guide le tissage. La tapisserie d’Aubusson garde ainsi son mystère tout au long du tissage. Le lissier lui-même, ainsi que l’artiste, ne découvrent leur œuvre dans sa totalité qu’au moment où ils coupent les fils de chaîne pour libérer la tapisserie au cours de la « tombée de métier ». Reste la phase de finition avec la couture des relais, interruptions de tissage dues aux changements de couleurs.

En parallèle de la maîtrise des gestes de tissage, le lissier doit être capable de dialoguer avec le créateur du modèle, afin de faire les meilleures propositions techniques (essais de tissage, recherches sur les matières et les couleurs) et d’interpréter au mieux la maquette à l’étape de la conception du carton de la future œuvre tissée. L’artiste propose, en guise de maquettes, ses propres créations, aux formats les plus divers. Au terme du travail d’interprétation, le lissier est en mesure de fournir un carton de tissage, reproduction inversée gauche/droite de la maquette, à l’échelle de la tapisserie qui, une fois placé sous la chaîne, aidera le lissier à se repérer pendant le tissage.

En Aubusson, lieu du dialogue entre le geste et la création la plus contemporaine, les tapisseries sont des œuvres à quatre mains, fruit de la collaboration entre un lissier artisan d’art et un créateur, qu’il soit peintre, plasticien, designer, architecte ou décorateur. L’excellence d’une tapisserie est faite de la réussite de cette relation entre le créateur s’exprimant avec son propre medium et le lissier qui en imagine l’écriture tissée.

Quels matériaux utilisez-vous ?

Nous utilisons une chaîne de coton et une trame constituée essentiellement de laine à laquelle on peut associer de la soie, du coton, du lin, du bambou ou d’autres matières beaucoup plus expérimentales. La seule nécessité étant que ces matériaux restent « tissables ».

Qui est votre «profil de client idéal ?

Notre client idéal serait un collectionneur ou amateur d’art sensible à l’excellence mise en œuvre dans notre savoir-faire et qui aurait la « patience » d’attendre la fin de ce lent processus de fabrication pour découvrir sa tapisserie. Cela repose sur une relation de confiance et de nombreux échanges que ce soit avec le client, le concepteur de la maquette de tissage et tous les autres intervenants de la filière (principalement les teinturiers) avec lesquels nous travaillons conjointement.

Vous avez choisi d’être un artisan. Comment ce choix vous est apparu comme une évidence ?

En ce qui me concerne ce choix résulte d’un lent processus de maturation et de reconversion professionnelle qui m’a conduit du monde de la pharmacie à celui de la tapisserie. Ce métier d’artisanat d’art m’est très vite apparu comme la façon professionnalisante de pouvoir être en contact quotidien avec le monde artistique. Et cela est d’autant plus vrai qu’en Aubusson nous travaillons en étroite collaboration avec des artistes qui nous confient leur projet de tissage afin que nous leur en proposions le meilleur prolongement textile. La part d’imagination et de création est très importante dans le processus d’interprétation textile qui nous est demandé si bien qu’une interprétation textile relève souvent d’un parti pris affirmé qui reflète toute la personnalité du lissier.

Définissez-vous votre travail comme une passion? Quel est le meilleur moment de votre travail?

On peut effectivement parler de passion pour ne pas dire sacerdoce puisque tous nos choix sont orientés dans le seul but de la réussite du résultat final quelque soit les défis voire les épreuves à relever. En ce qui me concerne la tapisserie, en ce qu’elle résulte d’un savoir-faire 100% manuel, doit pouvoir aboutir une œuvre vivante et vibrante et venir toucher émotionnellement la personne qui la découvre. Le plus grand plaisir réside pour moi dans la phase de tissage. Au-delà du choix des couleurs et des matériaux, on peut alors intervenir au niveau des variations de tissage, transposant et interprétant l’intention de l’artiste. C’est à ce moment que se révèlent concrètement les choix artistiques que nous avons pu faire au moment de la mise en carton qui est alors très conceptuelle. Contrairement au tissage mécanique, le tissage manuel sur métier de basse lisse autorise un nombre de couleurs infini et permet au lissier d’ajuster son geste en permanence. La technique de la tapisserie d’Aubusson peut ainsi produire une grande diversité d’effets et de textures dans une même production. Reste au lissier à affirmer son identité en offrant une écriture et une sensibilité toute personnelle.

Quel rôle jouent le « talent », le «savoir-faire» et la «créativité» dans votre métier?

Le talent résulte à mes yeux d’un fin équilibre et d’un juste dosage entre savoir-faire et créativité. En effet si le savoir-faire est prépondérant par rapport à l’apport artistique du lissier, immanquablement on risque de s’orienter vers une œuvre certes bien réalisée et peut-être même trop bien réalisée techniquement mais inanimée, simple résultat de prouesses techniques où l’on ne perçoit que la virtuosité du geste du lissier. A contrario, une créativité débridée qui ne serait pas soumise aux contraintes techniques des matériaux et des savoir-faire de la tapisserie de basse lisse, risque de faire naître des tapisseries touchantes mais qui à mes yeux ne participent pas de la pérennité et à l’intemporalité des œuvres d’art.  

Et qu’en est-il de l’innovation, quels sont les changements depuis que vous avez commencé ? Utilisez- vous de nouveaux matériaux, outils, processus, une stratégie marketing, Quel impact sur vos performances ? Comment votre profession pourrait-elle être plus innovante? 

Depuis quelques années tout l’enjeu réside dans une stratégie marketing qui consiste à redonner à la tapisserie ses lettres de noblesse afin qu’elle soit à nouveau considérée comme un medium artistique à part entière comme la peinture, la sculpture afin que de nouvelles générations d’artistes aient envie de s’en emparer. L’édition de tapisseries contemporaines va bien évidemment dans ce sens-là.

Notre savoir-faire ne connaît pas de révolution technique majeure puisque les pratiques sont restées les mêmes depuis près de six siècles. Simplement c’est peut-être le traitement numérique Haute Définition des images qui bouleverse le plus nos pratiques. En effet les créateurs nous proposent de plus en plus de projets de tissage sous forme d’images numériques qui sont bien loin du carton de tapisserie gouaché de nos aïeux. Les images haute définition nous sont également précieuses pour analyser de façon très scientifique des tissages anciens dans le cadre par exemple d’un travail de recherche préalable au retissage d’une tapisserie ancienne à l’identique, comme c’est actuellement le cas à l’Atelier. Enfin nous nous servons d’impressions d’images Haute Définition pour réaliser les cartons de tissage. Enfin nous réalisons régulièrement de nouveaux essais de matières.

 

Où et combien de temps avez-vous été formé avant d’être prêt à créer votre entreprise? SI vous souhaitiez inviter les jeunes générations à choisir votre profession, quel serait votre message?

Personnellement j’ai été formée en manufacture au sein d’un atelier de tapisserie d’Aubusson pendant près de deux ans avant de créer mon propre Atelier. Je pense que les jeunes générations qui choisissent de se consacrer à la tapisserie d’Aubusson doivent avoir présent à l’esprit qu’elles sont les dépositaires d’un savoir-faire rare dont le maintien dépend de la bonne volonté et de l’éthique de tous les acteurs de la filière qu’elles s’apprêtent à rejoindre. Devant les merveilles des réalisations passées, on ne peut aborder la tapisserie qu’en toute humilité. C’est par ce profond respect et une écoute attentive de cet enseignement du passé qu’on peut dessiner un avenir pour la tapisserie d’Aubusson et prendre part à enrichir ce domaine des Arts décoratifs au grès de ses propres expériences.  

En conclusion, écrivez une citation, une expérience significative ou une réflexion personnelle que vous souhaitez partager avec nous et expliquez pourquoi.

Pour moi, chaque tissage nous plonge dans une aventure humaine et artistique toujours renouvelée où l’on fait des rencontres qu’on ne pourrait faire nulle part ailleurs. Chaque tapisserie est unique et porte trace de cette charge émotionnelle.

 

Pour en savoir plus sur Catherine BERNET





















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