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Myriam Berry-Hoornaert, créatrice, styliste/modéliste et costumière. France

Category

Interviews

Publication date

25/10/2017

Histoires de talents européens : Myriam Berry-Hoornaert – Créatrice-Styliste/Modéliste et Costumière

Mon histoire est parsemée d’étoffes, de pirouettes, de voyages, d’histoire, de livres, de rêves de beauté, d’études et de travail acharné aussi ; un besoin de donner corps aux émotions et intuitions qui me traversent ; une recherche de sens.
Issue d’une famille de peintres et de couturières belges, je fus initiée à la couture et à la peinture dès mon plus jeune âge. Ma passion et ma pratique de la danse classique m’éveillèrent à l’amour du vêtement de rêve.

Un parcours non conformiste
J’ai développé mon art, sans en avoir l’air, le nez au vent, le regard aux aguets, tout au long d’un parcours hors des sentiers battus. C’est après avoir vécu dans plusieurs pays, étudié et pratiqué des disciplines aussi diverses que la danse classique et contemporaine, la gestion de patrimoine culturel et l’histoire de l’art mais aussi l’art-thérapie, les neurosciences et le fonctionnement de la pensée créative, que la vie me ramena autour de la trentaine, vers les étoffes et la couture.

Ce fut dans l’objectif de financer une formation de théâtre que j’acceptai un travail en tant que petite main dans un atelier de couture. En effet, après des années dans le monde de la publicité, la scène me rappelait. La vie pourtant me réservait une sacrée surprise. Je devins l’assistante de metteurs en scène et de chorégraphes. Un jour on me proposa d’assister à la création des costumes. Et là, ce fut le déclic : invitation au voyage… traversées dans le temps et l’espace,… celui du rêve et de l’imaginaire. Une sensation d’être arrivée à destination, là où tout ce que j’avais fait au fil du temps prit pleinement vie et devint atout.

Une histoire d’arts et de matières
Prévoir l’effet d’une forme ou d’une texture sur un corps en mouvement, déterminé par la psychologie d’un personnage, l’esthétique et l’imaginaire d’une époque ou d’un lieu fait sens pour moi. Lier, croiser, juxtaposer deviennent alors un jeu de création infinie.
Cela me confirme qu’un parcours mû par l’intuition détient une intelligence inexplicable qu’il faut savoir écouter et oser suivre, parfois à contrecourant et de ce qui semble raisonnable. Je ne savais pas vers où j’allais. C’est le jour où j’acceptai pleinement ce métier, qui m’a choisi, et pour lequel je n’ai pas été formée de façon officielle, que je me sentis de plus en plus satisfaite de ma vie professionnelle et sollicitée auprès de compagnies. Metteurs en scène, chorégraphes, cirque, orchestres, écoles, conservatoires, musées, m’ont permis de déployer talent, savoir-faire et créativité et de stimuler ma curiosité.

Genèse d’une création
Du croquis à la dernière finition, en passant par l’élaboration du patron, la coupe, le montage et le repassage, chaque étape demande attention et précision.

Faire feu de tous bois
Certains costumes m’emmènent dans des lieux et des domaines improbables. Souder, coller, visser, clouer, scier. Et aussi brûler, buriner, plâtrer, teindre, déteindre… Mon atelier et ma cuisine, deviennent des laboratoires d’expérimentation pour des matières de toute sorte. En plus de textiles, je travaille le métal, le plastique, le papier et le carton, la terre et le plâtre, grillage, tuyaux, verre, pierre, paille…
Je me prends d’amitié pour la passementerie et la mercerie que je détourne pour en faire des matériaux de création à part entière.

La passion des belles étoffes
Par le biais de commandes de robes de mariées originales ou d’époque sur mesure, un nouveau jeu se présente à moi : la passion des belles étoffes. Tous mes sens sont en éveil. La caresse d’un voile sur la peau, la saveur d’une couleur, une forme qui éveille un parfum lointain, le crissement d’une soie, le scintillement d’une broderie. Chaque pièce raconte un univers, une personne, une pensée ou une émotion qui m’emmène avec elle.
Quelques années passées à l’Opéra National de la Monnaie en Belgique, comme assistante du chef de service habillage-costumes, nourrissent pleinement cette passion. Les réserves de costumes furent un terrain de découvertes inextinguible sur les styles, les techniques de fabrication et les différentes étoffes. Dès que le travail me le permettait, j’y flânais, observais, palpais, dessinais, sur fond d’airs d’opéra magnifiques. Mes sens étaient exacerbés. Malgré les exigences de ma tâche, j’étais ravie.

Et puis, en 2003 un prince vraiment charmant me ravit à son tour. Nouveau pays, nouvelle vie, nouveaux terrains à découvrir.
Me voici en France, dans le pays de la haute couture.

Voler de ses propres ailes
En avril 2005, après quelques expériences dans des ateliers, je décidai de voler de mes propres ailes. « D’étoffe en beauté » est né pour l’amour des étoffes et pour la beauté de l’être.
Installée dans la « Maison des Métiers d’Art (MMA) » de Ferrières-en-Gâtinais, village médiéval, labellisé « ville d’art et d’histoire » au Sud de Fontainebleau et à 1h de Paris, je me pose. J’ai 45 ans, et une certaine expérience. Je ne reste pas sur mes acquis pour autant. Pendant plusieurs années, je vais me perfectionner aux techniques de patronage et de modelage par le biais de formations professionnelles à « l’Ecole de la Chambre syndicale de la Couture Parisienne ». Je me spécialise dans le costume d’époque 19e et début 20e et peaufine mes connaissances du vêtement grande taille.

Plusieurs distinctions et prix de métiers d’art viendront couronner mon travail. Une journaliste écrira la chose suivante à mon propos : « L’observation que Myriam fait des gens, sa perception de la personne, la guide, quel que soit le registre, sophistiqué, classique ou bien rustique. Elle a un sacré “feeling” lorsqu’elle exerce son métier de costumière… Elle étudie en profondeur, allant dans le détail de la symbolique des costumes. Un travail exigeant… »

Un chemin professionnel toujours en évolution
Si je continue de créer des costumes de scène, je suis de plus en plus appelée à faire des créations haut de gamme pour de grandes occasions telles que des mariages et pour la grande taille. J’ouvre également des cours de couture pour petits et grands et prépare aussi de futures stylistes et couturières lors de stages professionnels.

La vie d’une passion
Aimer donner des couleurs aux textes, faire parler les corps, peindre avec le mouvement, jouer avec les formes et les époques… pleurer et puis en rire ! Tel un funambule, je marche sur un fil invisible vers mon but et tends, chemin faisant, au Kalos Kagathon (le beau et le bon) des philosophes grecs. Quelle satisfaction lorsque la personne qui vient vers moi me fait entièrement confiance ou quand j’arrive à ouvrir le champ des possibles et la mène là où elle n’osait se rêver !

Faire ressortir à l’extérieur la beauté singulière de chaque être
Avec les années ma réflexion s’est affinée sur deux axes : le savoir-faire et le savoir-être, mettant mon savoir-faire au service de la beauté de la personne. Les personnes de toute taille qui font appel à ma création souhaitent avoir de la belle ouvrage sur-mesure, pour une occasion spéciale ou non. A vrai dire, elles ne le savent pas toujours, mais elles viennent chercher bien plus que cela.

Tel un peintre ou un sculpteur devant son modèle vivant, je dessine, je sculpte des robes. Je n’habille pas des corps anonymes mais des êtres uniques, qui ont une histoire, des blessures, un rêve, une émotion, un désir. Ma matière première c’est leur âme.
Je conçois donc des vêtements adaptés à la personnalité. C’est pour cela que mes créations sont indémodables. De plus les matières naturelles et de qualité, telles que la soie, la laine, le lin, le chanvre sont privilégiées, ce qui permet d’assurer la pérennité de mes créations.
Je suis persuadée qu’un vêtement respectueux de la personne et de l’environnement, habille bien plus qu’un corps. Il fait rayonner l’être intérieur et permet de vivre d’une façon plus harmonieuse et responsable avec soi-même ainsi qu’avec ce qui nous entoure de près ou de loin.

Oser remettre en question
Le monde change et depuis une décennie le rythme s’accélère d’une façon vertigineuse. Les enjeux géopolitiques, les crises économiques, une main-d’œuvre asiatique bon-marché, de nouveaux procédés de fabrication des textiles « dits » innovants mais surtout polluants et aussi la démocratisation des nouvelles technologies de communication induisent des changements de comportement sociétaux avec le virtuel et la vente à distance. Tout cela déferle et risque de noyer le travail d’une vie à chaque instant. Cela m’oblige toutefois, à remettre en question certaines évidences, à avoir un sens critique envers moi-même comme envers la société, à repréciser mes valeurs fondamentales, indissociables de ma personnalité et aussi parfois à refaire des choix en cohérence avec ma vie.
Après une réticence certaine, je m’ouvre d’une façon raisonnée aux nouvelles technologies de communication.
En ce qui concerne les nouveaux textiles, bourrés de nanotechnologies, dangereuses pour l’homme comme pour la planète, je choisis consciemment de ne pas les utiliser. Je m’inscris clairement dans une utilisation de matières premières renouvelables et naturelles, étant si possible responsable, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours facile. D’autre part je m’exprime de plus en plus par le biais de conférences et de cours sur l’urgence de prendre de la distance avec le concept de mode et de revenir sur l’importance du vêtement. En effet, l’industrie de la mode est le deuxième secteur de pollution et d’esclavage sur l’échelle mondiale.
Il est également du plus en plus difficile de vivre de mon travail. Que faire ? Arrêter, continuer ? Il a donc fallu faire des choix, poser des priorités, mettre des limites. Après une remise en question, je sais que mon travail, basé sur l’excellence et le respect est la meilleur façon de continuer pour moi. Je crois en l’éveil des consciences et au retour du désir de qualité plutôt que de quantité.

Le changement le plus important qui s’est opéré depuis que je suis dans le métier.
Le changement s’est situé au niveau de la finalité de ma création.
Je suis partie d’une vision basée sur le paraître afin de refléter une image extérieure et j’ai évolué vers une nouvelle vision, bien différente, plus intérieure. Sur ma route j’ai été interpellée par des êtres magnifiques de force et de paix. Ils n’étaient pas particulièrement glamour mais rayonnants. Ce qui m’a frappé était la justesse de leur mise, leur liberté d’être. Leurs vêtements leur ressemblaient et pouvaient être simples comme très originaux, souvent intemporels. Le dedans et le dehors concordaient. Je suis alors passée du vêtement pour paraître au vêtement pour être. Cela a définitivement fait sauter les diktats de la mode en moi et élargi mon champ créatif. Ma création s’est remplie de plus de douceur, de vérité et d’authenticité. La relation avec ma clientèle est devenue plus riche, humaine et satisfaisante. Mon but aujourd’hui est de créer des vêtements en harmonie avec l’être. Non plus pour escamoter ce que l’on n’aime pas mais pour faire rayonner.

Talent, savoir-faire et créativité…
Voici les trois pieds du tabouret qui me donnent une assise stable dans le travail. Retirez une des trois pattes et je perds mon équilibre !
Le talent est la part reçue dans mon berceau disons par une bonne fée ou en héritage. C’est l’intuition, parfois fulgurante ; un sens inné dans le domaine. C’est également une capacité, au-delà de son point de vue, d’avoir une vue sur tous les points. C’est aussi la réserve de confiance en soi pour les jours difficiles, lorsque personne n’y croit mais que vous savez que votre idée est juste et que c’est une question de temps pour la faire accepter.
Le savoir-faire est l’apprentissage, l’expérience acquise grâce à l’étude, l’exercice, la rigueur dans le travail et la persévérance. C’est aussi la curiosité et une forme d’obéissance aux règles et à l’éthique du métier. C’est plonger dans l’héritage du métier, l’intégrer, lui rendre honneur puis ouvrir et le transcender.
La créativité est la capacité de retomber sur ses pieds. Faire avec ce qu’il y a ou ce qui se présente de façon imprévue. C’est inclure des données, parfois restrictives, (temps, budget, matériaux). C’est inventer de nouvelles combinaisons harmonieuses avec ces mêmes données. C’est d’une certaine façon partir de ce qui est pour incarner ce qui n’est pas encore.
Ces trois points sont indissociables. Ils se nourrissent et sont complémentaires. Quand je ne suis pas au top de ma forme créative, je me concentre sur mon savoir-faire. L’intelligence du corps et du geste acquis me remettent alors en scelle, la créativité revient et mon talent s’exprime plus librement.

+ savoir-être
Et puis je rajoute une patte à mon tabouret. Ce point sans lequel toute création, même belle et techniquement réussie, reste sèche et dénuée d’âme. C’est la part fragile et gracieuse, la part du cœur qui donne une lumière particulière à ma création : habiter ses créations d’accueil chaleureux, d’authenticité, de courtoisie, d’écoute sincère, de respect, de gratitude envers toutes les personnes qui viennent vers moi, qu’il soit client, fournisseur, élève, visiteur ou curieux.

Le futur commence aujourd’hui
J’invite les jeunes à faire de la connaissance de soi, une priorité. Le « Connais-toi toi-même et tu connaîtras le monde et les dieux », de mes chers philosophes grecs n’est pas juste une phrase pour faire joli dans les livres d’histoire ou de philosophie. Mon expérience m’a montré que cette injonction est une boussole sur la route qui permet de trouver sa vocation profonde. Les métiers d’artisan couturier et costumier sont très exigeants, parfois ingrats, mais lorsque l’on sait que « c’est ça », alors on y va de tout son cœur, de toute son intelligence, de tout son enthousiasme. De plus, connaître ses forces et ses faiblesses permet de travailler pour se renforcer, être plus efficace, plus libre et de rester debout lors des tempêtes. Il ne faut surtout pas avoir peur de se tromper ou de faire des détours. Chemin faisant, on apprend et on atteint son but. Parfois un métier que l’on aime peut en cacher un autre qui nous attend, lové au cœur même de notre travail assidu.

Citations
J’ai choisi 3 citations. La première pour la part du philosophe, la deuxième pour celle du stratège et la dernière est celle du poète.

« C’est en forgeant qu’on devient forgeron » Aristote
« Il est dur d’échouer ; mais il est pire de n’avoir jamais tenté de réussir » Franklin Roosevelt
« Où cours-tu, ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? » Christiane Singer

 

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